Reclutamento universitario e suicidi

Un articolo de L’Express che denuncia la sofferenza e le difficoltà di chi vorrebbe lavorare in università.
Ce suicide qui dénonce le recrutement universitaire (Par Emmanuel Davidenkoff (L’Etudiant), publié le 30/03/2011).
Maître de conférences, Marie-Claude Lorne se suicidait en 2008, après avoir appris qu’elle ne serait pas titularisée. Le rapport administratif sur ce drame est sévère: il dénonce les pratiques de recrutement des professeurs d’université.
Comme il est d’usage dans ce tout petit monde, elle aurait pu avaler la couleuvre en silence. Mais ce n’était pas dans les habitudes de Marie-Claude Lorne. Alors, à 39 ans, cette maître de conférences stagiaire en philosophie a pris sa plume et, d’une écriture dense et concentrée, a annoncé: “Devant l’accumulation des difficultés à laquelle je dois faire face depuis des mois, j’ai décidé de mettre fin à mes jours. L’événement qui a précipité ma décision a été la nouvelle de ma non-titularisation à l’université de Brest, que j’ai apprise il y a tout juste une semaine.” C’était le 22 septembre 2008. Le 3 octobre, son décès était confirmé, et rien ne laisse penser qu’elle ait ce soir-là dérogé au projet précisé en post-scriptum de sa lettre d’adieu: “Me jeter dans la Seine, dûment lestée et entravée (passerelle Simone de Beauvoir si tout va bien).” Autrement dit, devant un temple du savoir: la Bibliothèque nationale de France.
Très vite, une partie de la communauté universitaire des philosophes tente d’alerter l’opinion. Une association des amis de Marie-Claude Lorne se forme. Yves Michaud, le père de l’Université de tous les savoirs, met en cause les membres de la commission de spécialistes qui a décidé de surseoir à la titularisation de Marie-Claude Lorne, ainsi que le président de l’université. Lequel est de nouveau interpellé quelques jours plus tard par huit enseignants-chercheurs pour qui “aucun motif recevable ne pouvait être invoqué pour formuler un avis défavorable à la titularisation de Marie-Claude Lorne. Indépendamment des funestes événements qui ont suivi, il s’agit donc d’une décision scientifiquement inacceptable, et tout à fait contraire aux usages de l’université”. En quelques jours, le drame personnel vire à la dénonciation du système.

Il a pourtant fallu deux ans pour que Valérie Pécresse charge l’Inspec-tion générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche de me-ner une enquête. Et six mois de plus pour que le rapport arrive, voici quelques jours, sur le bureau de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le document, que nous avons pu consulter (lire une synthèse du rapport ici), dénonce “plusieurs insuffisances, voire irrégularités”, dans les délibérations de la commission et relève des “manquements aux règles de déontologie” de la part de son président. “Compte tenu de l’absentéisme fort constaté dans cette commission, toutes les précautions n’ont pas été prises” pour s’assurer de la présence de la totalité des membres conviés, explique ainsi le rapport. D’autres couacs sont mentionnés: procès-verbaux perdus, retard dans l’information de la philosophe… Pour les inspecteurs, l’affaire dépasse même le cadre brestois et remet en question toute la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs.

L’onde de choc déclenchée par le suicide de Marie-Claude Lorne est à la mesure de la rareté des faits. Un usage non écrit veut qu’un maître de conférences élu dans une université soit automatiquement titularisé au terme de sa première année d’exercice, dite “de stage”. En décidant de repousser cette titularisation, la commission de l’université de Brest a enfreint une règle d’airain. Motif? A Brest, le département de philosophie est composé de cinq enseignants-chercheurs, dont Pascal David, président de la commis-sion chargée de prononcer les titularisations. Sa hantise: les “turbo-profs”, surnom de ces chercheurs qui se contentent d’une ou deux journées de présence hebdomadaire sur les campus pour donner leurs cours et rentrent ensuite chez eux, généralement à Paris. Autant de travail en plus pour ceux qui vivent sur place et doivent assumer, outre leurs recherches, des tâches administratives et pédagogiques chronophages, pendant que les autres soignent leur CV en enchaînant colloques et publications. “Quand il y a des tensions entre collègues, ça vient toujours de là”, certifie une enseignante en langues, brestoise depuis vingt ans.

“Dans le passé, j’avais été échaudé par les promesses non tenues d’enseignants disant vouloir s’installer à Brest, explique Pascal David. Comme je n’avais pas la certitude qu’elle s’établirait vraiment ici, j’ai voulu adresser un coup de semonce.” En dépit de la tonalité favorable des divers rapports concernant le travail de Marie-Claude Lorne à Brest, Pascal David obtient gain de cause, d’autant plus facilement que la commission, en ce 13 juin 2008, n’est composée que de deux membres, les autres ayant séché une réunion réputée formelle et dont l’issue ne faisait aucun doute. Le hic, note le rapport de l’Inspection, c’est que l’argument retenu pour refuser la titularisation serait “mal fondé en fait et en droit”, la question du lieu de résidence n’étant pas censée intervenir à ce stade.

Les us et coutumes sont également bousculés. Quand il croise Marie-Claude Lorne à Brest, après que la commission eut décidé de ne pas la titulariser, Pascal David “n’ose pas” lui parler. L’été passe et la jeune femme n’est informée qu’à la veille de la rentrée, par courrier officiel. Et quel courrier! Vierge de toute formule de politesse, il avise la destinataire de la décision dans un registre purement administratif. “La forme de cette lettre, je la déplore aujourd’hui encore, même si je n’en suis pas l’auteur”, assure Pascal Olivard, président de l’université, qui a depuis imposé une “humanisation” de la correspondance administrative.

Forme et fond confondus, Marie-Claude Lorne reçoit la nouvelle comme un uppercut. Elle ne s’en relèvera pas. “Elle ne soupçonnait pas qu’une telle décision puisse être prise”, affirme Jean Gayon, lui aussi philosophe et membre de l’Association des amis de Marie-Claude Lorne. Comme plusieurs collègues et proches de la philosophe, il peine à croire que la non-résidence brestoise soit le seul facteur qui ait motivé la décision de la commission: “Elle était d’une exigence scientifique aiguë, suivait des pistes très originales, était déjà internationalement reconnue.” Plusieurs se souviennent aussi de discussions au cours desquelles Marie-Claude Lorne leur avait fait part de ses divergences philosophiques avec Pascal David et des tensions qui en résultaient. Le caractère de Marie-Claude Lorne a-t-il également joué contre elle? C’est ce que redoutent plusieurs de ses amis. Tous ceux qui l’ont bien connue ont une anecdote à rapporter sur son côté “tête brûlée”, la jeune femme n’hésitant pas à rabrouer un professeur plus capé, y compris publiquement. Philippe Huneman, philosophe et ami de Marie-Claude Lorne depuis vingt ans: “En France, un universitaire ne dit pas à un autre: “Vous avez tort.” Elle le faisait. Elle était hors codes. Elle l’a payé.”

Exigeante à l’égard des autres, Marie-Claude Lorne l’était peut-être encore plus à l’égard d’elle-même. Capable de se mettre au violon à 20 ans, elle s’imposait une rigueur intellectuelle que ses amis jugeaient parfois excessive – “On lui disait de lâcher la pression”, raconte Philippe Huneman. Le second post-scriptum de sa lettre d’adieu en témoigne: il réclame que sa thèse ne soit pas publiée – “Elle est trop imparfaite en l’état.” Une thèse qu’elle avait pourtant mis dix ans à rédiger. “Elle était forte et fragile à la fois, résume Jean Gayon. La plupart auraient baissé la tête ; certains auraient fait un scandale; elle s’est tuée.” Trois jours après la découverte du corps de Marie-Claude Lorne, le président de l’université annonçait la nouvelle à son personnel. Au bas de l’e-mail, le logo de l’établissement accompagné de ce slogan: “L’université est une chance. Saisissons-la”.

 

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